Le constat est là. Ils sont sénateurs, parlementaires, délégués ou président de sections, ces chefs traditionnels qui occupent des postes et pas les moindres dans le gouvernement camerounais.
La tradition désigne la transmission continue d’un contenu culturel à travers l’histoire depuis un événement fondateur ou un passé immémorial. Cet héritage immatériel peut constituer le vecteur d’identité d’une communauté humaine. Dans son sens absolu, la tradition est une mémoire et les chefs traditionnels ont pour devoir de transmettre cet héritage à travers l’évolution historique. Au Cameroun et comme partout en Afrique, les chefferies traditionnelles sont de hauts lieux ou des détenteurs de la sagesse, des personnes dont la morale et la probité ne sont pas contestées continuent à transmettre, sinon à administrer l’héritage culturel et traditionnel laissés par nos aïeux.
Avec l’arrivée de la république, une distinction plus nette a été observée entre le pouvoir traditionnel et le pouvoir politique. Mais aujourd’hui au Cameroun, le politique semble engloutir le traditionnel au détriment de la tradition. C’est dans cette logique que s’est tenu les 27 et 28 mars 20013 à Yaoundé, un forum, premier du genre, des chefs traditionnels. Le thème est évocateur de l’égarement : « Premier forum des chefs traditionnels du Cameroun pour le développement auprès du chef de l’Etat, Son Excellence Paul Biya ». Un fil conducteur qui annonçait l’orientation politique de ce conclave.
De part sa connotation politique, ce thème exposait en filigrane la volonté manifeste du pouvoir politique à assujettir le pouvoir traditionnel. Aussitôt penser, aussitôt réaliser. Le résultat aujourd’hui est très visible. Ils sont sénateurs, parlementaires, délégués ou encore président de sections, ces chefs traditionnels qui occupent des postes et pas les moindres dans le gouvernement camerounais.
Pour arriver au bout de leur objectif, le politique a pris une décision qui à première vue est sans conséquence sur le pouvoir traditionnel : désormais, tous les chefs traditionnels de la République perçoivent une allocation mensuelle dont le montant est fixé à 200 000 FCFA pour les chefs de 1er degré, 100 000 FCFA pour les chefs de 2e degré et 50 000 FCFA pour ceux de troisième degré. L’objectif a été atteint.
Y a-t-il des conséquences ?
Bien sûr que c’est la tradition et notre culture ancestrale qui en souffriront. Ces gardiens de la tradition, néanmoins ceux qui sont de pleins pieds dans la politique ne trouveront plus assez de temps pour être à l’écoute de la population. Les affaires politiques les préoccuperont plus que leurs missions légitimes. C’est vrai qu’ils sont citoyens comme tous les autres. Sur le plan individuel, ils trouveront leur compte, pour ceux qui peuvent être élus ou nommés mais seulement leur engagement politique est de nature à leur faire perdre l’autorité sur une partie de leur population.
Les chefs traditionnels devraient faire preuve de neutralité politique. Ceci ne devrait pas dire qu’ils doivent se muer en des êtres désincarnés. Ils doivent voter, choisir un parti politique. Mais prendre officiellement position en faveur d’une tendance au point d’occuper un poste mettrait en péril leur rôle naturel de leaders traditionnels. Ceci n’entre pas dans leur contrat social.